PAR YOUSSEF TRAVALY, VICE-PRÉSIDENT DU NEXT EINSTEIN FORUM DANS FINANCIAL AFRIK
Le Covid-19 éprouve les pays africains dans leur capacité de gestion pandémique, leur maîtrise des impacts socio-économiques, la robustesse de leurs systèmes de soins de santé et de leurs réponses politiques. Cependant, qu’en est-il des scientifiques africains ? Comment s’organisent-ils pour répondre de manière efficiente à cette épidémie? Au sein du Next Einstein Forum, les travaux de la Communauté des scientifiques (CoS), composée de plus de 200 chercheurs africains reconnus mondialement dans leurs domaines respectifs, ont permis de dégager quelques pistes de réflexions concrètes pour soutenir la lutte contre cette pandémie et concevoir des mécanismes et des recommandations pour faire face aux chocs sanitaires futurs. Le 28 avril 2020, 210 pays avaient confirmé des cas de Covid-19 à l’échelle planétaire.
En Afrique, la maladie a été confirmée pour la première fois en Égypte le 14 février dernier, suivie par l’Algérie et le Nigéria à travers de cas dits « importés.» Au total, ce sont plus 34 923 cas confirmés avec malheureusement 1 529 décès et 10 641 guérisons qui ont été signalés dans 52 pays sur le continent fin avril. Des chiffres encourageants dus à une agilité incroyable et la prise de mesures ‘adaptées’ par les pays africains. Ainsi, la majeure partie d’entre eux ont institué rapidement un verrouillage partiel ou total, limitant ainsi les mouvements à l’extérieur et à l’intérieur des frontières. Le Nigeria par exemple, a été le premier à réaliser le séquençage du génome du SRAS-CoV-2 en provenance d’Afrique le 4 mars. L’Afrique du Sud, quant à elle, est désormais en tête du continent en matière de tests par habitant (3 119 tests / million de personnes). Début avril, le Kenya avait converti les usines existantes en production de masques.
En ce moment, presque tous les États construisent des respirateurs à des prix abordables et utilisent des technologies numériques et émergentes pour le pistage des contaminés et d’autres activités économiques, à l’instar du Rwanda qui a misé sur le numérique tous azimuts pour contenir la pandémie et le Sénégal qui a été un pionnier dans l’utilisation du traitement à base de chloroquine. Cependant, force est de constater que toutes ces actions ne suffisent pas et l’Afrique pourrait tirer quelques leçons, notamment de quelques partenaires asiatiques. En effet, malgré leur proximité avec la Chine, le berceau de l’épidémie du Covid-19, le Japon, la Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan n’ont enregistré que 662 décès combinés au 28 avril. Un nombre de décès peu élevé – dû notamment à leur expérience acquise dans la gestion d’épidémies similaires, comme le SRAS et le MERS dans le passé – à laquelle la Communauté des scientifiques (CoS) du NEF aspire à arriver par le biais d’une série de pistes utilisant une approche systématique et holistique.
Des directives potentielles dont l’objectif est de renforcer ce qui a déjà été fait, mais également de pérenniser l’ensemble des actions dans un plan d’intervention durable, en commençant par le développement d’un écosystème de la connaissance basée sur les données. Il s’agit, sur base des données de contaminations journalières, de développer un outil de surveillance et de prédiction sensible au contexte d’un pays donné. Cet outil contextuel permettra de prédire, de façon plus précise, l’ampleur et la sévérité de la pandémie et d’anticiper les impacts économiques et les mesures politiques, tout en permettant de décider de stratégies de reprise des échanges commerciaux sous régionaux. Il s’agit également d’informer les décideurs ainsi que les populations sur divers aspects liés à la pandémie au travers de livres blancs, d’articles d’opinion, de publications scientifiques à travers des médias, comme le Scientific African Magazine, et de plateformes d’engagement du public.
Quant au diagnostic, celui-ci a été disponible de façon limitée et tardive. Du coup, de nombreux cas de COVID-19 ne sont pas encore détectés et une estimation précise de la prévalence dans de nombreuses communautés reste largement sous-estimée. La détection rapide des cas, avec et sans symptômes, garantira une allocation correcte des ressources de traitement, l’isolement, le pistage des contacts et l’identification des nœuds de transmission. Dans ce contexte, il s’avère nécessaire d’améliorer les ressources existantes pour la réponse de diagnostic COVID-19 en Afrique en termes d’acquisitions d’équipements, de kits de test et consommables, ce à des tarifs réduits et plus abordables. Fortement perturbé, le système éducatif a vu les écoles fermées et des étudiants forcés à migrer vers l’apprentissage en ligne. Le secteur de l’éducation s’est retrouvé fragilisé, favorisant les étudiants privilégiés et défavorisant les enseignants sans compétences pour gérer l’enseignement à distance. Face à ce contexte, il apparait impératif pour le COS d’explorer diverses méthodes d’apprentissage utilisées dans le monde ou en Afrique et de mettre en évidence les meilleures pratiques en cours pour faire des recommandations pour l’avenir.
Enfin, le secteur de la médecine traditionnelle mérite que l’on s’y attarde aussi. La lutte contre le COVID-19 est plus difficile en Afrique, en particulier en raison de la faiblesse des systèmes de soins de santé. La pharmacopée traditionnelle a toujours été au cœur du système de santé de nos États. Il est donc impératif, à l’instar de Madagascar, d’explorer les connaissances indigènes en donnant aux groupes de recherche les ressources adéquates pour étudier les traitements possibles en utilisant la méthode scientifique et les essais cliniques ultérieurs. Cela devrait être une priorité protégée et urgente.
En somme, il s’avère nécessaire que les pays africains, les organismes continentaux et régionaux s’appuient sur l’expertise de cette communauté de scientifiques africains pour une approche coordonnée dans la lutte contre la pandémie actuelle et à venir. Il existe des stratégies et des plans en cours menés par une multitude d’acteurs sur le continent, mais il est primordial qu’elles s’appuient aussi sur l’expertise des scientifiques issus du continent.