Comment impliquer davantage les femmes dans le domaine des sciences en Afrique? la Dr. Elsa Zekeng livre son analyse

Next Einstein Forum: En 2016, l’Union européenne (UE) vous a sélectionné comme Jeune Leader en reconnaissance de votre contribution dans le domaine de la science. Comment avez-vous réussi à briser le «plafond de verre»?

Elsa Zekeng: Au moment de ma sélection, je faisais mon doctorat en maladies infectieuses et santé mondiale à l’Université de Liverpool et j’étais co-fondatrice d’une organisation appelée «Northwest Biotech Initiative». L’initiative visait à doter les scientifiques de compétences et d’outils indispensables à des carrières en dehors du monde universitaire, par exemple s’ils souhaitaient commercialiser leurs recherches ou se lancer dans l’industrie. Plus tard, j’ai reçu la chance de recevoir la «médaille Ebola pour service en Afrique de l’Ouest» de Sa Majesté la reine Elizabeth II d’Angleterre.  J’ai eu beaucoup de chance et j’ai accompli d’autres projets. Cependant, je ne dirais pas que j’ai brisé le «plafond de verre» car j’ai encore tellement d’objectifs à atteindre. Néanmoins, j’attribue ces réalisations à plusieurs facteurs. Mon père m’a consciemment exposé à toute une gamme d’expériences, ce dès le plus jeune âge. Il était et est toujours un ardent défenseur de l’importance de l’éducation et de la possibilité de réaliser de nouveaux objectifs. Mon directeur de thèse a joué un rôle dans ce domaine en comprenant mes buts, en voyant mon potentiel et en me donnant l’opportunité. Enfin, la communauté des femmes dédiées aux sciences dont j’ai puisé la force en connaissance de cause et sans le savoir. Je suis consciente que je suis très chanceuse d’avoir pu saisir ces opportunités et avoir un système de soutien implacable.

Quel est l’état des lieux de l’égalité des genres dans les domaines de la science, de la technologie, de l’innovation et des mathématiques (STIM) sur le continent?

E.Z.: Selon le journal Lancet, 53% des diplômés du baccalauréat et 43% des diplômés du doctorat à travers le monde sont des femmes. Cependant, seulement 28% d’entre elles occupent une place de chercheure et elles ne représentent que 30% des postes dans le domaine des STIM au sein des établissements dans l’enseignement supérieur. En Afrique subsaharienne, seulement 30% des chercheurs dans tous les domaines sont des femmes. Au Cameroun par exemple, 20% des hommes étaient inscrits dans l’enseignement supérieur contre 15% pour les femmes en 2017. De plus, seulement 22% des chercheurs camerounais sont des femmes universitaires tandis que 7% des femmes universitaires sont professeurs titulaires. Une analyse approfondie a montré que les femmes scientifiques constituaient des rangs inférieurs dans le monde du travail, ce avec moins de responsabilité, de prise de décision et de leadership.

Quelles sont les raisons qui expliquent la sous-représentation des femmes dans domaine de la science en Afrique subsaharienne?

E.Z.: Je crois qu’il existe une multitude de facteurs qui expliquent la sous-représentation des femmes dans les sciences en Afrique subsaharienne, mais je voudrais me concentrer sur deux en particulier. Le premier est l’accès et l’encouragement aux sujets liés aux STIM, ce dès le plus jeune âge. Je crois que culturellement et socialement, les filles devraient non seulement avoir accès à l’éducation dans ces matières, mais aussi être encouragées à poursuivre des carrières dans ces domaines. Les champs des STIM sont déjà dominés par les hommes et peuvent intimider toute jeune femme intéressée par ceux-ci. Les filles devraient être encouragées à adopter l’approche par essais et erreurs qu’exigent la science et la technologie. Par conséquent, le renforcement de la confiance et de la résilience est absolument essentiel.

Le second est lié aux préjugés systémiques et institutionnels de genre (conscients et inconscients). Nous avons tous un parti pris inconscient. Il existe plusieurs types de préjugés qui s’infiltrent dans le monde du travail et affectent la façon dont nous interagissons avec des personnes différentes de nous. Par exemple, Le «préjugé d’affinité» est l’endroit où nous gravitons vers des gens comme nous en apparence et en croyance. Cela se voit fréquemment dans les processus de recrutement. Comme indiqué ci-dessus, les champs STIM sont généralement dominés par les hommes. Cela laisse les femmes intéressées à poursuivre une carrière dans les STIM à la merci de politiques biaisées, de pratiques de recrutement, de possibilités de progression, de la culture du lieu de travail et bien plus encore. Ceci est absolument essentiel car nous pourrions avoir un réservoir de talents de femmes prometteuses et travailleuses qui souhaitent poursuivre une carrière dans les STIM. Cependant, si elles étaient confrontées à des obstacles indépendants de leur volonté, tels qu’un environnement de travail non inclusif, des opportunités de progression limitées, des opportunités de mentorat limitées de manière cohérente, cela frustrerait naturellement même la personne la plus brillante et la plus travailleuse.

Comment impliquer davantage les femmes dans le domaine scientifique en Afrique? Comment peuvent-elles surmonter les obstacles?

E.Z.: Encouragez-les à plus s’impliquer dans des domaines liés à la science par le biais  d’activités parascolaires, des événements qui permettent aux filles de s’engager avec les femmes dans les sciences et de leur parler à divers niveaux de carrière, de créer des espaces sécurisés en ligne et des groupes communautaires pour poursuivre cette conversation. Plus important encore, il faut les sensibiliser aux diverses possibilités d’emploi à la suite d’études scientifiques. Il est très important d’informer et d’éduquer les filles et notre société sur les opportunités d’emploi une fois leurs études terminées.

Lorsque les familles, les amis et les sympathisants sont informés des opportunités disponibles, les filles créent un groupe de soutien qui les encourage continuellement à poursuivre cette carrière. La perception du public se limite souvent à penser qu’après une formation dans les STIM, les seules options de carrière sont «docteur en médecine» ou en «ingénierie». Ce n’est tout simplement pas le cas, car il existe de nombreux autres choix de carrière. Nos gouvernements et nos dirigeants devraient s’impliquer davantage et investir dans les carrières liées à la science et à la technologie, tout en transmettant ces informations aux jeunes filles et à leurs familles et sympathisants. Cela inculque la confiance, un sens de l’orientation et un but à poursuivre lorsque les choses deviennent difficiles.

Comment l’innovation peut favoriser le développement d’un environnement inclusif dans lequel plus de filles et de femmes s’engagent dans les études liées aux STIM?

E.Z.: La technologie décentralise le processus d’apprentissage et de perfectionnement. Il fournit aux groupes communautaires le soutien technique et émotionnel nécessaire pour grandir et prospérer dans ces espaces à un rythme individuel sans pression, ni crainte externe. Il permet la collaboration et l’apprentissage au-delà des frontières géographiques. Il est crucial de construire un écosystème qui soutient le développement de la science et de la technologie. Nous devons également développer une technologie qui combat les préjugés. Je suis co-fondatrice d’une start-up appelée Jobseekers. C’est un site de travail interactif alimenté par l’intelligence artificielle (IA) qui associe les candidats aux opportunités d’emploi sur deux facteurs clés, à savoir leurs compétences au poste et leur alignement culturel avec une entreprise. Notre algorithme d’apprentissage automatique combine les résultats de ces deux facteurs en un score d’ajustement pour chaque candidat. Il présente ces candidats à l’employeur de manière anonyme, ne montrant que le pourcentage d’ajustement pour le contrôle initial, ce sans dévoiler leur nom, leur sexe ou toute autre chose susceptible de provoquer une forme de parti pris. Notre mission est de donner à chacun une chance égale. C’est le pouvoir de la technologie lorsqu’elle est utilisée à l’échelle mondiale, pour surmonter les obstacles systémiques qui, à un moment donné, ont défavorisé un ensemble particulier de personnes. Construire davantage de technologies pour lutter contre les inégalités augmentera certainement et impliquera davantage de filles et de femmes dans les sciences et la technologie. Il convient de noter que l’accès à la technologie est toujours un privilège qui doit encore être décentralisé. Il est essentiel de garantir à chacun un accès illimité à la technologie à un coût abordable pour profiter pleinement de tous les avantages de la technologie.

Selon divers experts, la promotion des langues africaines locales est un élément clé pour réduire les inégalités d’accès aux nouvelles technologies sur le continent. Êtes-vous d’accord? Pourquoi?

E.Z.: Lorsque l’on considère les obstacles pour un accès, soit la technologie ou même une nouvelle matière à l’école, la langue est d’abord et avant tout une priorité. Veiller à ce que les informations et les concepts clés soient partagés d’une manière accessible et comprise par tous est absolument fondamental. Cela s’applique également à l’accès aux nouvelles technologies.

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