Le numérique, une aubaine pour l’agriculture en Afrique? Le Dr. Lawani, CEO de Global Partners, livre son analyse

Next Einstein Forum : En raison de l’impact économique du Covid-19, le nombre de personnes confrontées à l’insécurité alimentaire aiguë devrait passer à 265 millions en 2020, soit une augmentation de 130 millions par rapport à 2019. Le spectre de la faim hante-t-il le secteur alimentaire mondial?

Abdelaziz Lawani: Bien sûr, le risque d’insécurité alimentaire aiguë est grand. Ce risque existait déjà à cause des facteurs que nous connaissions assez bien au nombre desquels nous pouvons citer les changements climatiques, la dégradation de la fertilité des sols, le faible niveau de mécanisation de l’agriculture africaine, et aussi la dépendance de cette agriculture vis-à-vis de la pluie. La campagne agricole actuelle a été aussi particulièrement affectée par l’invasion des criquets ravageurs dans la corne de l’Afrique. Mais, la pandémie du Covid-19 exacerbera l’intensité de ces facteurs et donc le risque d’insécurité alimentaire sur le continent. Ce risque sera essentiellement transmis à travers les chocs sur les systèmes de production et de distribution.

Pourquoi?

A.L.: En effet, les populations rurales sont principalement celles qui produisent et alimentent nos villes. Une population rurale malade se traduira par une réduction de l’offre de produits agricoles. Mais le risque le plus criard vient du non-fonctionnement ou de la réduction de la performance des marchés. En effet, à la suite de la pandémie, plusieurs pays ont fermé leurs frontières restreignant les mouvements des personnes et des biens. Le commerce qui peinait déjà à faciliter la circulation des produits agricoles doit désormais faire face à la contrainte imposée par la fermeture des frontières mettant à risque une large partie de la population qui dépend des chaines de valeurs agricoles. Remarquez que la vaste majorité de la population africaine dépend de l’agriculture. L’impact sur les chaines de valeur agricoles affectera également le pouvoir d’achat de ces populations.

La crise alimentaire causée par la hausse généralisée des prix en 2007-2008 nous a appris de nombreuses leçons. Beaucoup de pays pour protéger leurs populations ont mis un ban sur l’export des produits agricoles. Les pays Africains à faible revenus qui importaient certaines denrées ont dû allouer d’importantes ressources financières pour acquérir ces produits. La même tendance est déjà en train d’être observée avec la pandémie du Covid-19. L’Inde et le Vietnam par exemple, au début de cette crise, ont limité les quantités de riz que ces pays exportent sur le marché mondial. Dans le cas où d’autres pays suivent la même politique, on aura une tendance généralisée de la hausse des prix des produits agricoles et le risque d’insécurité alimentaire pour les pays Africains sera plus grand.

Face à ce contexte, un nombre croissant d’experts prône l’utilisation des nouvelles technologies pour pallier à ce problème. Partagez-vous leur avis ? Quels seraient les bénéfices pour le domaine de la culture sur le continent, notamment en termes financier, productif et d’emploi?

A.L.: Les nouvelles technologies seront utiles. Cependant, dans le contexte actuel, il faut surtout que les efforts soient concentrés sur le fonctionnement général des marchés et le commerce en général. Les solutions qui pourront réduire l’étendue et la persistance de la pandémie auront des répercussions positives sur la sécurité alimentaire.  Il est aussi vrai que les technologies et solutions digitales (ICT) peuvent aussi jouer un rôle dans le retour à la normale mais surtout pour rendre les systèmes de productions plus productifs et efficients.

Alors que plus de 60 % de la population a moins de 24 ans en Afrique, l’âge moyen d’un agriculteur africain est actuellement de 60 ans, selon un rapport du Centre Technique de coopération Agricole et rurale ACP-UE (CTA). Le numérique peut-il contribuer à changer ce paradoxe? Si oui, de quelle manière?

A.L.: En effet, le numérique peut contribuer à changer ce paradoxe. La plupart des jeunes en Afrique sont déjà familiers avec le numérique. Il suffit seulement de voir la proportion des jeunes qui utilisent la téléphonie mobile par exemple. L’utilisation des solutions numériques dans l’agriculture augmentera l’intérêt des jeunes pour la culture agricole. Nous avons remarqué la même tendance au Benin où de nombreux jeunes se rapprochent de Global Partners pour acquérir les connaissances et compétences nécessaires à l’utilisation des technologies digitales telles que les drones par exemple dans l’agriculture.  Donc l’introduction des solutions digitales dans l’agriculture augmentera l’intérêt de la couche juvénile pour le secteur agricole.

Malgré les profits potentiels, il semble que plusieurs obstacles entravent le développement des solutions associées aux nouvelles technologies en Afrique. Quelles sont ces barrières?  

A.L.: Vous avez vu juste, certaines barrières ne sont pas de nature à encourager le développement des solutions digitales dans l’agriculture en Afrique. Il est vrai que la volonté politique est de plus en plus manifeste mais parfois les politiques mises en place par nos gouvernements ne sont pas en accord avec les volontés politiques. Par exemple, de nombreuses solutions numériques reposent sur l’internet et les équipements numériques. Mais l’accès à l’internet n’a pas encore atteint un niveau qui permettra une utilisation aisée par les populations à la base et donc une contribution effective au développement agricole.  Un autre exemple est relatif aux taxes sur les outils informatiques. Ces outils joueront un rôle essentiel dans le développement de nos pays vers cette économie digitale que nos pays désirent. Par ailleurs une politique économique qui ne réduit pas les taxes sur ces équipements informatiques empiètera sur leur contribution à la transformation digitale du pays.  Les barrières existent également dans le domaine de la formation des jeunes. Un exemple assez parlant est la formation dans les domaines relatifs à l’Intelligence Artificielle qui a pourtant de nombreuses applications dans le secteur agricole. Sur le continent les centres de formation sur ce sujet ne font pas légion. Et pourtant il faudra les multiplier à l’échelle continentale et dans chaque pays pour espérer une contribution réelle. Le système règlementaire est aussi parfois trop restrictif pour permettre le développement du numérique. Prenez par exemple l’industrie des drones. EN effet, nombreux sont les pays Africains qui ont mis en place une législation qui limite le développement de l’industrie. La croissance des solutions associées aux nouvelles technologies en Afrique nécessitera un environnement où le système éducatif, la législation et le développement des infrastructures concourent pour concrétiser la vision digitale de l’Afrique.

Quelles sont les mesures qui devraient être mises en place pour le secteur agricole puisse tirer pleinement profit des opportunités offertes par le numérique dans le secteur agricole? 

A.L.: Les solutions sont nombreuses et il serait difficile de les citer tous. Toutefois, il me parait important d’encourager les partenariats publics-privés sur le continent où l’état fait confiance aux entreprises et startups pour leur développer des solutions adaptées à leurs besoins, au lieu de recourir aux entreprises étrangères qui ne développeront pas nécessairement ni le capital humain local ni l’économie puisque les revenus de leurs contrats seront dépensés en dehors de ces pays africains. Si la compétence n’existe pas au niveau local, les pouvoirs publics pourraient créer les incitations nécessaires pour que les entreprises étrangères, dans leurs prestations, développent aussi le capital humain local qui pourrait non seulement continuer à offrir le service, mais aussi l’adapter aux besoins de nos pays. Il faudrait aussi des politiques cohérentes mises en place par nos états. Des mesures qui, entre autres, créent un environnement favorable au développement des solutions digitales et qui facilitent la formation des jeunes dans les secteurs qui leur permettront d’acquérir la capacité de développer les solutions. Le développement d’une infrastructure digitale à la hauteur de l’ambition de nos pays permettra également à la jeunesse d’en prendre avantage et innover. Imaginez l’impact que l’amélioration de la qualité de l’internet et son coût aura sur son accessibilité et usage. Il ne s’agit pas, n’est-ce-pas, des compétitions périodiques organisées à l’endroit des startups. Non pas que ces compétitions ne sont pas utiles, mais plutôt des investissements courageux et sur un long terme qui permettront l’éclosion des écosystèmes entrepreneurials où des solutions sont développées pour améliorer les conditions de vie des populations et où des emplois sont créés, contribuant en retour à l’économie de nos pays.

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