La sensibilisation, une arme efficace contre le Covid-19? Le Dr. MBAYE, un héros scientifique du Maroc, livre son analyse

Next Einstein Forum: Pourriez-vous nous expliquer brièvement pourquoi avez-vous choisi d’embrasser une carrière dans le domaine de la science?

M.M.M.: Plusieurs éléments ont contribué à mon choix d’embrasser une carrière dans le domaine scientifique, à l’instar de mes deux mentors, mon père et mon oncle, qui sont respectivement entrepreneur et biologiste. Ainsi, le métier de mon papa a longtemps joué un rôle positif sur mon évolution. Le fait que je partais, ce à un très jeune âge, avec lui au chantier a longtemps constitué un stimulus. À chaque rentrée, il dépensait sans hésiter et sans compter pour m’offrir les meilleurs livres voire m’inscrire à des cours particuliers. Je me rappelle de ses récompenses quand j’amenais une très bonne note. La concurrence positive qu’il avait suscitée en moi faisait que je ne concevais pas qu’on me damne les pions après une évaluation ou un examen. Dans le cas de mon oncle, il me gavait de livres et de films animés sur la science. Toute la famille lui vouait un grand respect et elle se tournait vers lui quand un problème de santé surgissait au sein de celle-ci. De plus, ses décernements, ses décorations et ses photos avec de grandes personnalités accrochées au mur du salon m’ont longtemps fait rêver et m’ont inspiré à devenir plus tard un chercheur scientifique.

Quel est le rôle que vous jouez aujourd’hui dans la lutte contre le Covid-19 au Maroc et en quoi consiste votre projet?

M.M.M.: Depuis l’avènement du nouveau coronavirus appelé Covid-19 en Chine et qui s’est propagé rapidement dans le monde à une vitesse vertigineuse atteignant ainsi l’Afrique, je me suis lancé dans plusieurs campagnes de sensibilisation axées sur les enfants, la collecte de dons et la distribution des kits alimentaires aux populations, notamment issues de l’Afrique subsaharienne, les plus touchées financièrement par la pandémie. Dans le cadre de nos opérations de communication, on aborde le sujet de la pandémie sereinement avec les enfants en évitant de rentrer dans les détails trop complexes. Cependant, on ne fait pas de raccourcis rapides qui seraient contre-productifs.

Dans votre présentation, vous avez mentionné que dans le cadre du coronavirus« le sujet de la sensibilisation ne doit pas être laissé aux seuls médias.» Pour quelles raisons? 

M.M.M.: Si j’ai dit que le sujet de la sensibilisation ne doit pas être laissé aux médias,  c’est pour la simple raison que le traitement médiatique de cette pandémie est présenté de manière très brute et insistante sur les aspects les plus tragiques. Pour nous, les informations que les médias relayent, comme des hôpitaux surchargés voire la contagion exponentielle, tendent à déstabiliser la confiance, la sérénité et installent la peur, surtout chez les enfants. Nous rappelons qu’avant 8 ans, il n’est pas nécessaire que les enfants soient exposés à longueur de journée à des informations pouvant saper le moral, susciter des interrogations et susciter la peur chez ces derniers. À cela s’ajoute-le fait que les conséquences résultantes de cette pandémie, comme les pertes de revenus des parents, les maladies et la perte de proches associées à cette avalanche d’informations anxiogènes peuvent créer un cocktail pouvant rapidement mettre les enfants et les jeunes en insécurité émotionnelle. Dans ce contexte, il est primordial de rassurer, de protéger et de répondre aux craintes et anxiétés des enfants.

Les enfants sont-ils tout autant voire plus sensibles aux informations diffusées par les médias comparativement aux adultes?

M.M.M.: En effet, les enfants sont de fins observateurs qui absorbent très rapidement les expressions et les émotions.  D’ailleurs, Il est très difficile pour un enfant voire un adolescent d’affronter et de comprendre les événements publics stressants. Enfin, la réaction, le tempérament et l’étape de développement de l’enfant sont en fonction de leur l’âge. Ainsi, ces éléments ont guidé, mes collègues et moi, notre choix à mener une campagne de sensibilisation pour les enfants afin de les protéger, les rassurer face à cette pandémie, faire le plein de culture(s) grâce au numérique éducatif pendant le confinement (et après) et les éduquer aux sciences, à la méthode scientifique et à l’éco-citoyenneté (pendant le confinement et après).

Quels sont les défis majeurs que vous rencontrez dans le cadre votre campagne de sensibilisation liée à cette pandémie et comment les surmonter vous?

M.M.M.: Les défis majeurs que nous avons rencontrés ont été nombreux. Nous pouvons citer, entre autres, le manque de partenariat potentiel, le choix de l’approche à adopter, l’adaptation des ressources existantes et la barrière linguistique. Dans le cadre de ce dernier, nous sommes parvenus à toucher une partie non-négligeable de la population enfantine en traduisant des termes clés en langue arabe (DARIJA) et en réalisant des graphiques parlants adaptés aux jeunes, ce grâce à une équipe hétéroclite, très dynamique et constituée de doctorants volontaires issus de plusieurs disciplines scientifiques.

Quel bilan tirez-vous depuis le lancement de votre campagne et comment envisagez-vous de la poursuivre dans un contexte post Covid-19?

M.M.M.: Nous pouvons dire que notre bilan est acceptable dans la mesure où nous avons eu à distribuer plus de 100 kits par nos propres moyens. Les retours de la quasi-totalité des parents ont été encourageants et les bonnes volontés commencent à affluer. D’ailleurs, on se prépare pour une deuxième vague de distribution. Nous comptons continuer la distribution après la pandémie et l’élargir sur toute l’étendue du territoire par le biais des écoles pour en faire bénéficier à tous les enfants.

Selon diverses évaluations, l’Afrique subsaharienne compte seulement un médecin pour dix mille habitants, contre 37 en Europe. Comment inciter plus de jeunes africains à se lancer dans une carrière liée à la science et à la médecine?

M.M.M.: Aujourd’hui, nous notons une importante désaffection des jeunes pour les études scientifiques. Les nombres restreints de diplômés sortant des écoles de médecine sont peu nombreuses et l’émigration des diplômés vers d’autres pays contribuent au faible nombre de médecins présents en Afrique subsaharienne. Face à ce contexte, il faut que l’on développe chez la jeunesse africaine un intérêt et une motivation pour les études supérieures dans le domaine des sciences. Nos gouvernements doivent revoir le contenu des programmes et les modalités d’enseignement pour rendre la science plus vivante, moins abstraite et plus ludique.

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