Next Einstein Forum: Selon de nombreux experts, les mesures de confinement adoptées par les économies de l’Afrique subsaharienne contribueront au développement accéléré des énergies renouvelables sur le continent. Partagez-vous leur avis?
Lucia Bakulumpagi-Wamala: Je suis d’accord. Cependant, j’estime qu’il y a un chaînon manquant, à savoir la production. En effet, les mesures de confinement affectent partout les chaines de valeur. Ainsi, l’Afrique est particulièrement vulnérable à cause du grand volume de produits importés. Le contexte du COVID-19 représente une opportunité de mettre sur pied des politiques « intelligentes » afin de développer des lignes de production locale, à condition de déployer un réseau énergétique capable d’approvisionner régulièrement les industries en électricité. Cela exige une gestion responsable des chaines d’approvisionnement utilisant des ressources, notamment renouvelables, à disposition et requiert une grande réflexion ainsi qu’une attention politique particulière.
À quel niveau?
L.B.W.: L’Afrique subsaharienne a fait d’énormes progrès dans le développement de ses capacités de production énergétique. Néanmoins, les mesures de confinement, lesquelles ont eu des impacts non-négligeables sur les chaînes d’approvisionnement, devraient inciter les décideurs à revoir et repenser les politiques actuelles en vigueur dans le secteur de l’électricité. En effet, le contexte du Covid-19 souligne la nécessité d’aller au-delà du modèle présent du “bien-être” qui consiste à simplement éclairer les foyers.
Votre société, Bakulu Power, est active dans le secteur des énergies renouvelables. Pourriez-vous nous expliquer en quoi réside votre projet?
L.B.W.: J’ai effectivement le privilège d’être à la tête de cette entreprise que j’ai fondée en 2015. En tant que Directrice Générale, mon travail consiste à recruter des collaborateurs compétents, dévoués et qui n’ont pas peur de relever des défis, principalement dans le domaine de l’électricité. Pourquoi avoir choisi ce secteur en particulier? Je suis convaincue qu’il représente l’élément précurseur du développement. Chez Bakulu Power, nous relevons plusieurs défis interdépendants qui se posent dans l’électrification rurale. Ainsi, nous développons et investissons dans les infrastructures et les industries clés pour une utilisation productive de l’énergie. Par exemple, nous nous attelons actuellement à mettre sur pied des chaines de froid pour le stockage de poissons dans plusieurs ilots sur le lac Victoria en Ouganda.
Le marché des énergies vertes est-il assez compétitif sur le continent?
L.B.W.: Je pense que la compétitivité dépend des mesures politiques adoptées. En Afrique de l’Ouest par exemple, les États de cette zone du continent possèdent des exigences réglementaires moins rigoureuses pour l’installation de mini-réseaux électriques, ce qui incite plus facilement les financiers à consentir des investissements dans le secteur électrique et permettre un développement plus rapide de ce type de réseau. En effet, l’extension de réseaux nationaux occasionne des dépenses prohibitives pour les gouvernements. Pour cette raison, j’estime que l’apport du secteur privé s’avère nécessaire pour combler les lacunes issues des acteurs publics car les grandes compagnies, par exemple, possèdent une capacité accrue à mobiliser des moyens financiers. Cependant, lever des fonds est une chose, faut-il savoir encore comment en disposer et vers où les allouer. En ce sens, des mesures politiques adaptées peuvent influer positivement sur ce dernier élément important.
Outre le défi lié l’utilisation efficiente des fonds, existe-t-il d’autres barrières?
L.B.W.: Il en existe, mais elles sont souvent liées aux mesures décidées par les dirigeants. Je possède un diplôme en administration publique. Lors de mon passage à l’université, je me suis spécialisée dans les affaires gouvernementales et mon parcours professionnel m’a appris les effets que peuvent avoir les décisions des acteurs publiques sur les activités d’une entreprise. Dans le contexte africain et à mon avis, les cadres réglementaires portant sur la protection de l’environnement devraient être maintenues. En revanche, pour celles liées aux développements des projets des mini-réseaux, elles devraient être abandonnées.
Malgré des ressources considérables, ce secteur est considéré comme très risqué par les investisseurs. Pourquoi?
L.B.W.: Je ne considère pas que le problème est lié au fait que ce secteur apparait comme risqué. Selon mon expérience, les investisseurs sont souvent préoccupés par les coûts élevés des projets dans les énergies renouvelables, à moins que celui-ci ne porte sur le développement d’un hydro-barrage. En effet, ils savent que le mise sur pied d’une centrale hydro-électrique requiert des investissements importants, mais génère des retours financiers tout aussi conséquents. Cependant, les projets hydro-électriques peuvent susciter des controverses, à l’image de l’Éthiopie et de l’Égypte. Cet exemple démontre que les investisseurs ont souvent tendance à penser en mégawatts, plutôt qu’en termes d’emplois créés et des bénéfices potentiels apportés au bien être d’une communauté donnée, ce dont s’occupent les organismes caritatifs. Cependant, force est de constater que les projets entrepris par ces organisations ne développent pas l’industrie sur le continent et qu’ils ne sont pas durables.
Dans ce contexte, quels sont les pièges à éviter?
L.B.W.: Le piège à éviter est de penser que tous les investisseurs sont similaires. Par exemple, un capital-risqueur ne va pas s’intéresser au domaine de l’électrification rurale car les retours sur investissement ne sont pas assez grands et rapides. Ainsi, le génie réside dans la capacité de trouver des investisseurs qui comprennent un projet donné, qui sont désireux de s’engager dans celui-ci et qui sont, par-dessus tout, patients.