Next Einstein Forum: Quelles sont les différences entre la situation actuelle liée au COVID-19 et les autres épidémies qui ont affecté le continent par le passé?
Mireille Dosso: Dans le cas de la Côte d’Ivoire, nous avons récemment été touchés par plusieurs épidémies au cours des dernières années, dont la dernière (Dengue) s’est déroulée en 2019. La dengue, aussi appelée « grippe tropicale », est une maladie virale transmise à l’homme par des moustiques du genre Aedes. La différence majeure entre le virus cité et le Covid-19 réside dans la contagiosité[i] et la capacité accrue de la transmission d’un individu malade ou porteur à un autre par ce nouveau Coronavirus. L’autre différence notable, particulièrement par rapport à la pandémie due au virus Ebola qui est la létalité plus grande que le SARS-Cov2, mais aussi la présence d’une mobilisation mondiale, tant au niveau occidental, asiatique, qu’africain pour enrayer la diffusion de ce virus.
Votre Institut joue un rôle important dans la gestion du flux d’échantillons liée au Covid-19. De quelle manière sont-ils traités et combien d’échantillons analysez-vous quotidiennement?
M.D.: Nous analysons actuellement entre 350 et 400 échantillons par jour, ce avec la possibilité que ce nombre puisse augmenter dans un futur proche à mesure que la contamination se développe ou pas sur le continent. Concernant la stratégie du diagnostic, nous utilisons la technique « PCR » ou réaction de polymérisation en chaîne qui consiste en une amplification enzymatique permettant d’obtenir un grand nombre de copies identiques d’un fragment ADN et permet de déterminer efficacement si l’échantillon étudié est positif ou pas pour le Covid-19. Il faut dire que les épidémies précédentes qui ont frappé la Côte d’Ivoire notamment ont contribué à renforcer les capacités de dépistage dans un nombre croissant de laboratoires sur tout le territoire de ce pays d’Afrique de l’Ouest, ce qui nous offre actuellement un plateau technique, en termes de machine par exemple, plus confortable qu’auparavant. Cependant, nous faisons face à un défi de taille, à savoir la difficulté de se procurer les réactifs et les intrants nécessaires pour nos analyses, des réactifs qui diffèrent de ceux utilisés pour les épidémies d’Ebola ou de la dengue.
Le nombre de tests effectués est-il suffisant? Comment les augmenter?
M.D.: Je pense que toutes les épidémies, bien que tristement et malheureusement elles emportent des vies sur le passage, ont cet avantage de pousser les autorités à renforcer à chaque fois un peu plus leurs capacités sanitaires et technologiques. Les dernières en date ont permis de mettre en place ou renforcer les systèmes de détection voire de surveillance des maladies infectieuses à potentiel épidémique. Cela suffit-il ? Bien sûr que non. Cependant, j’estime que la principale est de monter à chaque fois un palier supplémentaire.
Comment les pays africains pourraient-ils le franchir?
M.D.: La faiblesse rencontrée par la majeure partie des États au sud du Sahara se situe dans le fait que toutes les industries qui fournissent les produits dont les systèmes sanitaires africains ont besoin, comme les réactifs, se trouvent, soit en Occident, soit en Asie. Cette situation oblige à effectuer des commandes auprès de sociétés présentes à l’extérieur du continent. Pour cette raison et à cause de la situation actuelle qui a fortement réduit les possibilités d’échanges car les trafics aériens et les activités de production ont diminué drastiquement, nous avons des difficultés à nous procurer les réactifs et les consommables. Vu ce contexte, l’une de mes recommandations pour le continent serait de favoriser, dans un futur proche, les capacités de productions industriels dans le domaine des biens sanitaires, particulièrement ceux à usage unique, comme les gants, qui sont grandement utilisés lors des épidémies. Cette démarche permettrait au continent de gagner en efficacité en fournissant du matériel nécessaire aux laboratoires et hôpitaux plus rapidement et sans doute moins cher.
Face au COVID-19, les pays africains ont pris une série de décisions. L’une des dernières en date est l’imposition, au sein d’un nombre croissant d’États, du port du masque. Est-ce une politique efficace, selon vous?
M.D.: Cette règle à elle seule ne suffit pas. Cependant, l’obligation du port du masque contient certains avantages. Si quelqu’un par exemple présente des signes cliniques de maladie liés au coronavirus, le masque permet de réduire la transmission, laquelle se passe par voie aérienne, principalement par des « gouttelettes » projetées lors d’éternuements ou de toux. Toutefois, j’estime que l’utilité principale de cette mesure est qu’elle prépare les citoyens à un comportement et une attitude psychologique spécifique. Mettre un masque incite à se laver les mains, à respecter une distanciation sociale et être beaucoup plus vigilant vis-à-vis des autres mesures barrières. En somme, je dirais que ce geste rappelle tout simplement que l’individu se trouve dans un contexte particulier qui requiert une posture adaptée.
Certains pays africains réfléchissent actuellement à des stratégies post-pandémiques et des mesures de déconfinement ont été annoncées, comme récemment au Ghana. Sommes-nous dans une phase de fin d’épidémie aujourd’hui?
M.D.: L’histoire de la médecine nous démontre que des épidémies, tant de petites, que de grandes ampleurs, ont lieu régulièrement. L’épidémie du Covid-19 est sans conteste une épidémie importante telle que le suggère le nombre de personne infectées à travers le monde qui s’élève à plus de 2.9 millions de cas, ce en constante évolution, selon les chiffres de Centre universitaire John Hopkins. Dans ce contexte, il faut se préparer à adopter des stratégies à long-terme car cette épidémie va perdurer, selon moi, encore toute cette année, ce même si le nombre de cas va diminuer. Le défi lié au Coronavirus doit servir de modèle pour nous améliorer et mieux nous préparer pour de futures épidémies de grande ampleur car, je le dis haut et fort, le Coronavirus ne sera pas la dernière épidémie que nous connaitrons. Donc, il faut absolument que l’Afrique améliore ses stratégies, ses politiques et ses systèmes de santé vis-à-vis des risques associés à ces grandes pandémies.
[i] Une récente étude menée par une université américaine estimerait la contagiosité, « RO », du Coronavirus ou SARS-Cov2 entre 3,8 et 8,9. En d’autres termes, cela voudrait dire qu’une personne contagieuse serait susceptible d’infecter en moyenne entre quatre et neuf personnes. https://wwwnc.cdc.gov/eid/article/26/7/20-0282_article?fbclid=IwAR1TE6TfB75EC3UC1zZ02JhSqNDfODxsIg1yzQSf7W1NMyQQUrotl27slFA