Dr. Fadji Maina, étoile montante dans le paysage scientifique africain

Par Szymon Jagiello

Next Einstein Forum: Quelles sont les raisons qui vous ont motivé à embrasser une carrière dans la filière scientifique?

Fadji Maina: J’ai toujours été curieuse depuis mon enfance. Mon entourage me rappelle toujours toutes les questions que je posais quand j’étais petite. J’ai grandi avec le désir et la soif de comprendre mon environnement. Pour moi, tout avait une raison d’être ; il suffit de poser une question pour comprendre cette raison. À cet âge, c’était une simple curiosité, c’est plus tard que j’ai connu la science et que j’ai su que la science pouvait m’aider à répondre à beaucoup de questions que je me posais. Une des questions qui me tenait à cœur était de comprendre pourquoi ma ville natale (Zinder, Niger) avait un problème d’eau récurrent, alors que les autres villes en ont moins. Ce désir m’a poussé à m’orienter vers l’hydrologie.

L’an dernier, vous avez été la première scientifique nigérienne à intégrer la NASA et, en 2019, vous avez même figuré dans le prestigieux classement Forbes parmi les 30 scientifiques de moins de 30 ans. Comment avez-vous réussi à briser le «plafond de verre»?

F.M.: J’ai toujours donné le meilleur de moi-même quelle qu’en soit la situation et quel qu’en soit le type de travail que je devrais faire. Je combine la détermination et la persévérance avec la patience. Je me fixe des objectifs et je mets toute mon énergie et mon effort pour les atteindre, et s’il faut patienter pour atteindre l’objectif je préfère prendre cette option plutôt qu’abandonner. J’ai forgé ce caractère (que je continue toujours de nourrir) en m’inspirant des parcours des scientifiques africains plus particulièrement des femmes. Je fais aussi de mon mieux pour saisir toutes les opportunités qui s’offrent à moi et voire même créer mes propres opportunités. Je pense que quand on n’est pas née dans un milieu scientifique, cette étape est nécessaire. Saisir ces opportunités requiert aussi sortir de sa zone de confort et prendre des risques, encore une fois c’est parfois la seule option que l’on a si l’on veut se faire une place dans un milieu qui n’a pas accueilli ou a accueilli très peu des gens comme nous auparavant. Il faut oser franchir et ouvrir toutes les portes même celles que nous ne connaissons pas, car derrière celles-ci se cachent peut-être un univers merveilleux dans lequel on s’y plaira et on sera épanoui.

Comme beaucoup de chercheurs, vous avez connu certains revers. Quel a été votre plus grand échec?

F.M.: La vie de scientifique, dans un milieu où on est constamment poussé à donner le meilleur de nous-mêmes, est pleine d’échecs qui parfois se déroulent au quotidien. Des articles rejetés, des applications pour financement rejetées, ces heures incalculables de travail qui ne porteront pas de fruits, mais plus de connaissances et leçons apprises, des portes fermées, ces prix et récompenses qu’on pensait tant mériter, mais qui n’arriveront jamais. Je dirais plutôt que la liste est longue et la perception que l’on a de l’échec change avec le temps. Il y a de ces échecs que j’ai considérés comme grands qui se sont avérés au fil du temps insignifiants voire même à mon avantage.

Quelles leçons en avez-vous tirées? 

F.M.: Les échecs sont là pour nous enseigner des leçons et nous pousser à donner le meilleur de nous-mêmes. Ces échecs sont pour moi l’occasion de me poser des questions sur moi-même et sur mes méthodes et stratégies. Chaque échec me rappelle qu’il faut s’armer de beaucoup plus de patience et de détermination, car l’univers qu’on aspire comprendre est bien plus grand et les secrets qu’on souhaite décoder sont plus énormes qu’on ne le pense.

Que faites-vous concrètement aujourd’hui au sein de l’agence spatiale américaine?

F.M.: Je combine des modèles mathématiques avec des données satellitaires pour mieux comprendre l’évolution des ressources en eau en réponse au changement climatique. Avec les effets du changement climatique qui ont déjà commencé à se faire ressentir dans plusieurs régions du monde, il est plus que jamais indispensable de penser aux solutions à ce problème. Aujourd’hui, les Nations Unies estiment que plus d’un milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau, une substance indispensable à l’être humain, et ce nombre augmentera avec le changement climatique. Nous devons ainsi comprendre comment les ressources en eau évoluent dans ce contexte pour pouvoir proposer des solutions durables et robustes. Il s’agit là de sauver la Terre et l’humanité et aujourd’hui, grâce aux développements de la science notamment de l’informatique, qui nous permettent de faire des calculs presque inimaginables avant et des satellites qui nous permettent de suivre presque en temps réel (précipitation, température, changement de végétation et masses d’eau par exemple) ce qui se passe sur Terre avec une haute précision, ceci est possible.

Mon boulot c’est de m’en servir de toutes ces avancées technologiques notamment satellitaires pour retracer l’histoire de notre eau sur Terre, cette eau dont la trajectoire est extrêmement bouleversée par le changement climatique.

Combien de collègues issus du continent collaborent avec vous?

F.M.: Pour le moment, je ne travaille pas avec des collègues issus de continent africain au sein de l’agence, mais je connais d’autres scientifiques qui sont issus du continent qui travaillent à la NASA. C’est toujours un plaisir de voir de personnes issues du même environnement que nous au même endroit. On s’y accroche plus vite et la connexion est très vite établie car on comprend facilement nos parcours, nos difficultés et défis à relever ensemble.

Pourtant, l’Afrique regorge de talents scientifiques. Quelles sont les raisons qui expliquent cette sous-représentation des chercheurs dans les instances internationales?

F.M.: Il y a plusieurs facteurs qui font en sorte qu’aujourd’hui les scientifiques africains sont peu représentés dans la sphère scientifique internationale, je ne citerai ainsi ici que quelques-uns. L’un des problèmes c’est que la science ne fait pas encore partie du quotidien des africains, pour beaucoup d’africains la science révèle d’un mystère, quelque chose qui est autre que leurs cultures et traditions. Ceci a sans doute créé un désintéressement de la science dans la communauté. Moi-même en grandissant je n’ai pas eu la chance d’être dans un milieu scientifique et de parler de la science. La science est donc méconnue dans notre société. Aussi, le peu d’africains qui arrivent à se faire une place dans la communauté ne sont pas toujours encouragés et soutenus pour poursuivre. À cela s’ajoute le fait que les scientifiques africains manquent parfois de financements et doivent faire des efforts supplémentaires pour aller chercher le savoir et les collaborations ailleurs et dans un environnement qui est autre que le leur.

Comment  changer la donne? Quels sont les éléments qui pourraient motiver les jeunes à plus s’intéresser à la science sur le continent?

F.M.: Il faut repositionner la science dans notre société et faire comprendre à cette jeunesse que la science fait intégralement partie de leur culture, leur tradition, et leur histoire. Nos ancêtres se sont servis de la science pour vivre en symbiose avec leur environnement et exploiter intelligemment leurs ressources sans pour autant détruire leur milieu. La science cherche juste à comprendre le monde pour améliorer nos vies sur Terre et l’être humain est par nature scientifique car curieux et soucieux d’améliorer ses conditions.

En démontrant la beauté et l’utilité de la science aux jeunes et en leur expliquant qu’il n’y a rien de sorcier et que cette science fait partie de leur histoire et culture, ils l’embrasseront volontiers, encore une fois l’humain aspire par essence à un monde meilleur. Toutefois, une jeunesse engagée et intéressée à la science seule ne suffit pas pour changer les données, il incombe aussi aux autorités de les supporter et d’encourager leurs projets et ce même les plus fous et ambitieux. Car c’est avec des projets qui parfois dépassent l’imagination de certains qu’on avance le savoir.

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